Les Etats-Unis instaurent le fichage biométrique systématique des étrangers
Tous les visiteurs donneront leurs empreintes digitales aux douaniers et se feront tirer le portrait
 

Dossier : " Les Etats-Unis fichent les passagers des vols européens "
A partir du 5 janvier 2004, pour entrer aux Etats-Unis, les étrangers devront donner aux douaniers, outre leurs papiers, leurs empreintes digitales et une photo d'identité. Ces documents obligatoires seront numérisés sur place, et entrés dans une base de données. Ces informations, biométriques et personnelles, seront comparées avec les fichiers policiers américains, afin d'autoriser, ou non, l'entrée de la personne sur le territoire. Généralisé à tous les postes frontières d'ici 2006, le programme baptisé "US Visit" est déjà critiqué pour son aspect liberticide et son potentiel d'erreur. Même à un taux très bas, ce critère pourrait entraîner le logiciel à faire refouler, par erreur, des dizaines de milliers de personnes.
Le département de la Sécurité intérieure américain (US Department of Homeland Security -DHS ) vient d'annoncer qu'à compter du 5 janvier 2004, 115 aéroports et 14 ports maritimes seront équipés de terminaux biométriques. Ceux-ci permettront d'enregistrer, sur support numérique, une image du passeport des étrangers, mais aussi leur photographie, ainsi que les empreintes digitales de leurs deux index. La procédure sera obligatoire à l'entrée et à la sortie du territoire.
Etat d'exception généralisé
Depuis 2002, suite aux attentats du 11 septembre et dans le cadre du renforcement des mesures anti-terroristes, les représentants du DHS étaient déjà autorisés à mener une "procédure spéciale d'enregistrement ".
Cette procédure, déclenchée à la discrétion des agents de la sécurité intérieure américains, permet de prendre les empreintes digitales et la photographie de tout visiteur étranger. A compter du 5 janvier 2004, elle sera systématisée pour entrer en vigueur dans tous les aéroports, ports et postes frontières des Etats-Unis à l'horizon 2006.
Empreintes et photos doivent permettre aux autorités américaines de refouler les étrangers indésirables, présumés terroristes ou criminels. Le système vise également à identifier plus facilement les fraudeurs ainsi que les personnes ayant dépassé la durée de visite autorisée au moment de leur sortie du territoire américain.
Base de données personnelles
Les identifiants biométriques, ainsi que les diverses données personnelles des étrangers, seront stockés dans une base de données du DHS, l' "Arrival/Departure Information System" (ADIS). Elle contiendra en outre des informations personnelles plus courantes comme les nom, prénom, pays d'origine, pays de résidence, adresse de séjour, numéro de carte d'identité...
En l'état, le programme ne mentionne pas explicitement les données contenues dans les "dossiers passagers" ( "Passenger Name Records" , PNR), que les autorités américaines exigent des compagnies aériennes étrangères, contre l'avis des autorités européennes.
Auront accès à la base de données les douanes, les services d'immigration, les services consulaires, ainsi que "les personnels appropriés des forces de l'ordre fédérales, gouvernementales et locales" . En clair, la totalité des services policiers américains.
Objectif : 24 millions de fichés
Le nouveau programme a été baptisé "U.S. Visitor and Immigration Status Indicator Technology" (US Visit ) et annoncé le 28 octobre dernier par Asa Hutchinson, sous-secrétaire à la sécurité des transports et des frontières du DHS.
Le DHS espère ainsi pouvoir ficher, dans un premier temps, environ 24 des 440 millions de personnes entrant sur le territoire américain chaque année (la majorité passe par les postes frontières routiers).
Par ailleurs, la procédure ne concerne pas les citoyens américains, pas plus que les Canadiens, qui pourront cela dit se porter volontaires pour être fichés de la sorte.
L'enregistrement des empreintes digitales et de la photographie d'identité ne devrait prendre, selon le DHS, que quelques secondes, et ne se substitue aucunement aux procédures déjà en vigueur.
L'obligation faite aux citoyens de 27 pays "amis" (dont la France) d' être en possession d'un passeport "sécurisé" à lecture optique entrera finalement en vigueur le 26 octobre 2004 .
Le retour de la vidéosurveillance "intelligente"
US Visit est doté d'un budget de 380 millions de dollars pour cette année, et de 330 millions pour 2004. 10 employés sont actuellement chargés du programme, le DHS estimant à 292 le nombre total de personnes nécessaires à son déploiement (dont 177 personnels de sous-traitants privés).
Les terminaux ont déjà été commandés et commencent à être installés. 1000 machines capables de lire les données numériques et biométriques contenues dans les papiers délivrés par les douanes américaines ont ainsi été commandées à la société Anteon .
De son côté, la société Identix avance dans un communiqué de presse avoir remporté un marché estimé à environ 27 millions de dollars sur 5 ans pour livrer au DHS des terminaux électroniques de prises et vérifications des empreintes digitales. Plus de 130 de ces terminaux, reliés au FBI, sont déjà utilisés par les autorités américaines.
Identix s'était préalablement fait connaître pour avoir racheté la société Visionics, spécialisée dans la "vidéosurveillance intelligente" . Ces solutions de reconnaissance automatisée des visages, fort médiatisées suite aux attentats du 11 septembre, s'étaient par la suite avérées défaillantes et sans réelle utilité .
Des dizaines de milliers de "faux positifs"
Le magazine technologique américain Wired rapporte que le General Accounting Office a le mois dernier publié un rapport qualifiant US Visit d' "initiative très risquée" . L'office parlementaire d'évaluation souligne que le projet cherche à intimider les gens, et pourrait s'avérer bien plus onéreux que prévu, tout en risquant d'allonger de façon importante les files d'attente aux points d'entrée du pays.
Le taux d'erreur du programme US Visit ne serait que de 0,1 %, selon Wired , de moins de 1% selon le quotidien Government Computer News . Une telle marge représente tout de même des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes, qui, chaque année, risquent ainsi d'être bloquées par erreur.
L'Américain Bruce Schneier, dont l'expertise en matière de sécurité informatique fait autorité, avait, dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, imaginé un tel scénario. Selon lui, même avec un logiciel ne produisant que 0,01 % de "faux positifs" (personnes identifiées, à tort, comme indésirables), la mise en place d'un tel système court à sa perte.
Financièrement, US Visit pourrait coûter bien plus cher que prévu au gouvernement américain, si les dizaines de milliers de personnes idéentifiées à tort étaient habilitées à porter plainte contre les autorités ou à réclamer un dédommagement financier suite aux complications administratives, retards d'embarquement, manques à gagner, détentions et refoulements injustifiés qu'un tel programme ne peut qu'entraîner.
Jean-Marc Manach (www.transfert.net)